Le schéma synthétique ci-dessus résume les modalités de la pollinisation de l'Arum maculatum par le moucheron Psychoda phalaenoides. Il intègre les notions développées dans les autres parties de l'étude. La chronologie et la nature des interactions Arum maculatum / Psychoda sont précisées ci-dessous.

- 1er jour de la floraison : jour J
Dans la matinée, la spathe s'ouvre. En début d'après midi, commence une crise respiratoire dont l'appendice de l'inflorescence bien ouverte est le siège. Elle dure 10 à 12 heures et s'accompagne d'une phase thermogénique très intense qui permet d'élever la température de l'appendice de 10 à 20 °C / t° ambiante. L'échauffement de l'appendice favorise la vaporisation de composés organiques volatils à odeur de bouse en général bien détectable en début de soirée (vers 18h ) et jusqu'à environ 1h du matin.
La crise respiratoire thermogénique est à mettre en relation avec l'intervention de l'enzyme AOX (alors surexprimée) au niveau de la chaîne respiratoire et avec la dégradation des réserves d'amidon présentes dans les cellules de l'appendice. Le switch métabolique pourrait être déclenché par un signal hormonal (acide salicylique) en provenance des fleurs mâles immmatures, sa libération serait provoquée par la photopériode.
Certaines molécules odorantes libérées par l'appendice attirent des diptères, notamment Psychoda phalaenoides, car elles simulent des signaux olfactifs qui guident normalement les femelles vers leur site de ponte (matières fécales, bouse de bovin). Ces stimuli olfactifs sont détectés par des sensilles présentes sur les antennes des insectes.
Les moucherons attirés se posent sur la spathe et glissent (épiderme papilleux) dans la chambre florale obstruée par des poils turgescents et lisses (fleurs mâles modifiées = staminodes). La disposition de ces poils permet l'entrée de petits diptères dans la chambre mais rend leur sortie quasiment impossible. Ils peuvent d'ailleurs difficilement grimper le long de la surface interne de la paroi rendue lissse par la présence de cellules papilleuses. Ainsi des moucherons, parfois très nombreux, se retrouvent piégés dans la chambre florale qui fonctionne comme une nasse. Certains d'entre-eux transportent du pollen en provenance d'une autre inflorescence. En se déplaçant sur les fleurs femelles, ils peuvent en déposer sur les stigmates alors réceptifs. Des sécrétions gluantes recouvrent les papilles stigmatiques, elles retiennent facilement les grains de pollen et constituent un milieu favorable pour leur germination. Dans la chambre florale de l'inflorescence alors au stade femelle, les anthères sont fermées.
Les insectes peuvent survivre plus de 18 h dans la chambre florale, la structure histologique de la paroi favorisant le transport d'O2 nécessaire pour leur respiration. La chambre florale ne leur sert pas de lieu de ponte et ils n'y prélèvent pas de nourriture.
Survolez l'image avec la souris
- 2ème jour de la floraison : jour J+1
Dans la matinée de J+1 a lieu une phase thermogenénique courte et beaucoup moins intense que la phase précédente, la chaleur est produite au niveau des fleurs mâles et la température de la chambre florale ne s'élève que de quelques degrés. Cet évènement est suivi de la déhiscence des anthères. La chaleur dégagée pourrait favoriser l'ouverture des loges polliniques ( voir E. Bermadinger-Stabentheiner and A.Stabentheiner). La libération du pollen intervient alors que les stigmates des fleurs femelles ne sont plus réceptifs (autopollinisation rare). L'inflorescence est alors au stade mâle.
Le pollen émis saupoudre les moucherons captifs qui quitteront le piège, en général en début d'après-midi quand les staminodes seront flétris et qu'ils pourront facilement grimper soit le long de la surface interne fripée de la paroi de la chambre soit le long de l'axe florifère. Dans la soirée, ils pourront être attirés et piégés par une autre inflorescence dont ils assureront la pollinisation.
Le pollen de l'Arum maculatum est viable 2 à 3 jours (M. Giberneau).
Psychoda sp. femelle
chargé de pollen
dans la chambre florale
(inflorescence au stade mâle)

Psychoda sp. femelle tout juste sortie de la chambre florale d'un Arum maculatum
Nombreux grains de pollen accrochés aux poils

Survolez l'image avec la souris
La floraison terminée, la spathe, l'appendice et les fleurs mâles se flétrissent. L'ovaire des fleurs fertilisées, donc efficacement pollinisées par des moucherons, commence sa transformation en un fruit qui arrivera à maturité environ 3 mois plus tard (en août). A maturité, l'infrustescence porte des baies qui renferment chacune quelques graines.
Synthèse : un système de pollinisation antagoniste par duperie
Les particularités morphologiques (chambre florale, fleurs transformées en poils), physiologiques (respiration alternative, thermogenèse, synthèse de molécules odorantes) , histologiques (paroi de la chambre florale) permettent à l'inflorescence de l'Arum de fonctionner comme un piège qui attire (leurre odorant) et séquestre temporairement des petits diptères, surtout les Psychoda phalaenoides femelles à la recherche d'un site d'oviposition. Retenus suffisamment longtemps dans la chambre florale, les captifs peuvent d'abord polliniser les fleurs femelles (stade femelle du cycle floral) à condition qu'ils portent du pollen venant d'une autre inflorescence. Ils récupèrent ensuite du pollen frais (stade mâle du cycle floral) juste avant leur sortie du piège. Quelques heures après leur libération, les Psychoda femelles, toujours à la recherche d'un site de ponte, pourront être capturées par une nouvelle inflorescence d'Arum maculatum dont elles pourront polliniser les fleurs femelles.
Les relations établies au cours de l'évolution entre l'Arum maculatum et ses pollinisateurs, en particulier Psychoda ph., sont très favorables à la plante car elle permettent une pollinisation croisée en général très efficace. L'intervention des insectes est cruciale pour la reproduction de la plante. La survie des captifs durant leur séjour dans la chambre est indispensable pour la réussite de la pollinisation. Cette survie est possible car la chambre est bien aérée, sa paro ayant une structure structure très favorable aux échanges gazeux.
Les Psychodes pollinisateurs ne tirent aucun profit de leur passage dans la chambre florale de l'Arum maculatum, ils n'y prélèvent pas de nourriture et n'y déposent pas non plus leurs oeufs. Ils ne reçoivent pas de récompense. Ils sont trompés par la plante. On peut même considérer que la relation qu'ils entretiennent avec l'Arum leur est défavorable car elle induit une dépense énergétique inutile et la captivité a pour effet de réduire considérablement le temps qu'ils peuvent consacrer à la recherche d'un "vrai" site d'oviposition sachant qu'il ne disposent que de quelques jours pour pondre.
La pollinisation par duperie met ici en jeu des interactions antagonistes entre la plante et ses pollinisateurs.

Pour approfondir
- La pollinisation des Aracées (Marion Chartier et al. 2009)
- Pollinisation de l'Arum maculatum (Marion Chartier)
- Evolution des interactions plantes-pollinisateurs chez les Aracées: contraintes phylogénétiques et écologiques ( Thèse, Marion Chartier 2011)
- Pollination in the Genus Arum (Marc Giberneau et al. 2004)
- Le pollen de l'Arum maculatum : formation, germination, cyclose (Jean Jacques Auclair, 2016)